Charles Viale, dit Robert le Pirate, vient de mourir à 88 ans. Et avec lui, c'est la plus belle époque de la vie nocturne azuréenne qui disparaît
C'était sans doute le dernier des Mohicans, quoique plus flibustier qu'indien. Les soirées dans son restaurant du Cap-Martin ont fait le régal des journaux people du monde entier. À une époque où people voulait encore dire quelque chose.
Sa réputation est d'ailleurs venue d'outre-Atlantique où Franck Sinatra, alors au sommet de son art, ne jurait que par lui. Dans les années soixante, Onassis y amenait la Callas, Alain Delon y dînait tous les soirs avec Jane Fonda lorsqu'ils tournaient « Le Félin », BB y a peut-être dit « oui » à Gunter Sachs. Le Prince Rainier s'y rendait accompagné de Grace Kelly.
De ce haut lieu de la nuit, Ingrid Bergman, Lauren Bacall, Grégory Peck, Nat King Cole, Gina Lollobrigida, Kirk Douglas, le « Johnny » national, Bébel, Claude François, Tino Rossi, Serge Gainsbourg, Catherine Deneuve, Jean Cocteau, Jacques Brel, le roi Hussein de Jordanie, le prince Charles, Jacques Chirac, Dario Moreno, et Ursula Andress, pour ne citer qu'eux, gardent tous, pour ceux qui sont encore en vie, des souvenirs souvent impérissables... mais pas toujours avouables. Seuls quelques happy few ont pu parfois assister à ces soirées d'anthologie.
Mais pourquoi autant de stars ont-elles hanté les nuits du Cap-Martin ? Tout simplement parce que le pirate était un hôte inimitable. Le mélange de son style fantasque et de l'insouciance de ces années dorées a permis aux quelques mètres carrés de son restaurant de devenir le lieu le plus branché de la Côte. Il fallait réserver des mois à l'avance pour avoir la chance de s'asseoir à la table de Robert le pirate.
Lui était toujours torse nu. Tirait en l'air en plein restaurant. Tant et si bien que les seaux accrochés au plafond quand il pleuvait faisaient partie intégrante du décor.
Inimitable
La musique, toujours, accompagnait les frasques du pirate qui n'hésitait pas à jeter de l'huile sur le feu de son immense barbecue avant d'embrocher de son sabre la viande à cuire. Un véritable show man. Au Pirate, on cassait les assiettes, les ânes s'invitaient à la table en fin de soirée et l'on apportait avec la petite barque son café à Dino De Laurentis qui « garait » son Riva devant le restaurant.
Et que dire de cette scène restée gravée dans la mémoire d'un serveur : « Le Saint en personne est entré. Tout le monde s'est tu devant tant d'allure. Et avec son accent très british, Roger Moore, a demandé de la « leng oust ». Le pirate a mis son couteau entre les dents et a plongé pour remonter le crustacé. Bien sûr, il avait un vivier au fond de l'eau ».
Roger Moore était bien d'ailleurs l'un des seuls à pouvoir commander. Parce que chez le Pirate, c'était le Pirate en personne qui vous disait ce que vous mangiez au gré de ses humeurs.
Ses humeurs définissaient aussi le prix à payer pour ces folles soirées. Le Pirate se transformait souvent en Robin des bois. Et il n'était pas rare de voir un riche industriel italien payer sans le savoir pour des Roquebrunois désargentés attablés quelques mètres plus loin.
Des Roquebrunois et des Mentonnais pour qui Robert le pirate était une véritable légende. Pour cette génération, approchant désormais la soixantaine, le restaurant du Pirate, c'était aussi un muret où les gamins s'entassaient pour apercevoir les superbes filles qui arrivaient très apprêtées dans de grosses voitures américaines et repartaient... soutenues par les serveurs, incapables de tenir debout. Le champagne, du Don Pérignon évidemment, coulait à flot chez Robert. Lui-même avait d'ailleurs la réputation de commencer sa journée, vers 11 heures, en avalant une flûte avec un peu de cassis. Avant de prendre un bain dans sa chère Méditerranée, comme tous les jours de l'année.
Mais ce que tous ces gamins attendaient, c'était surtout les Strangers in the night.
Le moment où les lumières s'éteignaient. Quand les lanternes s'allumaient et que la chanson de Sinatra débutait. Le Pirate prenait alors la tête de son équipage de stars et traversait la rue pour aller aux « Frères de la Côte », sa boîte de nuit. Les « Strangers in the night » ont disparu désormais. La Côte est devenue plus sérieuse. Peut-être plus triste. Surtout depuis que son pirate de la nuit s'en est allé...
opoisson@nicematin.fr
From Nice-Matin March 2010
From Nice-Matin March 2010